HISTOIRE
Historique de MDRE
Si le concept de décentralisation a une longue histoire au Mali, une certaine ambiguïté recouvre le terme, suivant son usage par les différents protagonistes. Le changement politique violent qui s’est opéré en 1991 a provoqué le renversement du régime monopartiste de la seconde république et abouti à l’instauration de ce qu’il a été convenu d’appeler la « démocratie multipartisane ». Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau pouvoir transitoire incarné par le Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP), s’est attelé à jeter les bases de la grande réforme administrative, dont la décentralisation constituait le principal enjeu. La troisième république qui lui a succédé, et dont les fondements étaient fragilisés à l’extrême par une série de facteurs préoccupants :
rébellion touarègue dans le septentrion, contestations corporatistes, frondes estudiantines, revendications paysannes, en fit son principal cheval de bataille pour la résolution de certains de ces problèmes, mais aussi, pour mieux consolider idéologiquement son assise politique. Le nouveau pouvoir énonce sa rupture d’avec les précédents (Ie et IIe républiques) considérés comme héritiers du système colonial, et jugés prédateurs et autoritaires. Il prétend réaliser le partage équitable des biens et richesses du pays entre tous ses fils, au nom de la solidarité et de la justice sociale. La décentralisation est présentée dans ce contexte comme l’instrument idéal de réalisation de cette politique dans une perspective de redistribution du pouvoir.
3- Il s’attelle donc à la création et au renforcement du principal organe d’exécution de cette tâche la Mission de décentralisation en vue de l’implantation du processus.
4- Actuellement l’installation de la décentralisation malgré le retard accusé dans l’exécution du calendrier électoral a fait du chemin et la manière dont le processus a été mené apparaît pour le moins originale dans la sous région. En quoi le cas malien se distingue t il des autres ? Quelles en sont les contraintes (problèmes rencontrés, faiblesses notoires) et les perspectives (atouts majeurs et solutions envisagées). Tout ceci constitue autant de questionnements que nous tâcherons d’élucider dans ce numéro consacré à des études de cas, centrées sur les actions menées lors de la première phase de la mise en œuvre du processus au Mali.
Historique
5- Le Mali précolonial, qui a vu se succéder un nombre impressionnant d’empires et de royaumes, a été le théâtre de l’émergence de l’Etat sous diverses. En effet les Etats médiévaux de Ghana, Mali, Songhaï, ont mis au point, au fil des siècles, des systèmes politiques très élaborés, qui ont fait leurs preuves en matière d’administration des communautés et de leurs territoires.
6- La colonisation française s’est greffée sur l’ossature de ces anciennes organisations territoriales : province ou région (jamana), canton (marabolo ou kafo), village (dugu), du moins dans ce qu’on peut qualifier d’anciennes aires culturelles marka, mandé, songhaï et peule. La politique des races, appliquée par l’administration coloniale fiançai se au lendemain de la « pacification » du pays, s’est orientée vers la promotion des leaders politiques traditionnels auxquels elle octroyait le droit d’administrer leurs circonscriptions en tant qu’auxiliaires désignés, au détriment des opposants politiques locaux. Il en a résulté un renforcement des prérogatives de ces nouveaux chefs, que la coutume ne leur reconnaissait point et qu’elle s’était toujours évertuée à contrôler à l’aide d’organes de régulation appropriés (conseils de village, d’arbitrage, de conciliation). Ainsi, les populations furent elles intégrées dans un vaste système coercitif (travaux forcés, conscription, brimades) dont l’exécution reposait principalement sur la chefferie cantonale. Juché au sommet de cette pyramide le commandant blanc de cercle ou de subdivision demeurait l’épicentre des prises de décisions capitales. Il ajoutait à ces prérogatives administratives, celles judiciaires et de police, signes évidents de son omnipotence arbitraire. C’est cette organisation coercitive de l’administration coloniale qui s’est incrustée dans la mémoire collective et a estompé dans les esprits le souvenir des systèmes d’administration précoloniaux dont certains faisaient preuve de plus de souplesse dans leur application.
7- Dès lors, ceux qui affirment que la décentralisation a véritablement existé au Mali durant la période précoloniale, ne font qu’occulter le véritable débat. Les entités territoriales précoloniales du pays ont été successivement soumises au fil de l’histoire à des formes de domination variées suivant la nature des Etats et celle des liens qui les unissaient au pouvoir central. Elles pouvaient donc temporairement jouir d’une relative autonomie de gestion, ou au contraire subir une dépendance totale en matière d’administration ou même parfois se situer en dehors des aires d’influence de ces systèmes par le hasard de l’histoire, le biais des alliances politiques ou matrimoniales, ou à cause de considérations géopolitiques complexes. Le substrat le plus vivace et récent qui est demeuré, est le modèle colonial dont les Etats post coloniaux ont hérité et qu’ils ont appliqué sans discontinuer pendant plus de trois décennies. En outre, le vote démocratique qui détermine le choix des responsables des entités territoriales décentralisées, n’est pratiquement connu dans aucune des formes antérieurement évoquées.
8- C’est en ce sens que la décentralisation actuelle est différente des formes antérieures, puisqu’elle instaure le pouvoir de contrôle et de sanction sur les administrateurs grâce au système électif.
9- La politique d’assimilation forcée des indigènes à la culture coloniale, et l’évolution de la politique française devaient atténuer progressivement les rigueurs de l’administration jacobine, qui s’orienta vers la création de communes indigènes regroupant des citoyens de première et de seconde zones 1 et bénéficiant pour certaines d’une autonomie relative. Durant toute la période coloniale seules 13 communes furent créées au Soudan français 2 ; elles étaient hiérarchisées en communes mixtes, de moyen exercice et de plein exercice, suivant la loi n°55 l489 du 18 novembre 1955. En outre cette municipalisation inachevée ne concernait que le milieu urbain.
10- A l’indépendance, le Mali hérita de cette situation administrative avec cinq communes de plein exercice.
11- Le souci des nouvelles autorités maliennes fut de restaurer la pyramide administrative sur de nouvelles bases. Dès 1958, le parti de l’Union Soudanaise Rassemblement Démocratique Africain (US RDA), obtint la suppression des cantons qui étaient dirigés par les chefs traditionnels regroupés sous la bannière du Parti Soudanais Progressiste (PSP), et alliés à la puissance coloniale française.
12- L’article 41 de la Constitution du 22 septembre 1960 énonce déjà la nouvelle structuration territoriale du pays : « Les collectivités territoriales de la République du Mali sont : les régions, les cercles, les arrondissements, les tribus nomades, les communes, les villages et les fractions nomades ». Les subdivisions administratives devenaient ainsi des collectivités territoriales qui s’administrent librement par des conseils élus, placés sous la tutelle de l’administration centrale. A l’exception des conseils de communes déjà existant, ces dispositions n’ont jamais été effectives. En fait ces collectivités sont restées des circonscriptions administratives placées sous l’autorité des représentants de l’Etat central.
13- La loi n°66 9/AN RM du 2 mars 1966 portant code municipal au Mali met un terme à la hiérarchisation coloniale précédente en uniformisant le statut des 13 communes sous le régime de plein exercice, mais elle ne donne pas lieu à d’autres créations de communes.
14- Cette situation peut s’expliquer par la politique d’Etat nation préconisée par les dirigeants de la première république, soucieux de maintenir le peuple dans le carcan de l’unanimisme politique, le parti unique devant être le creuset de l’unité nationale. Le centralisme démocratique qui est de règle, impose la primauté du politique dans tous les domaines de la vie sociale et instaure le centralisme administratif comme instrument d’exécution de cette politique.
15- La première république procède à un renouvellement de l’élite politico administrative en réaction à la politique coloniale des races qui avait privilégié les leaders traditionnels. Les responsables administratifs deviennent des fonctionnaires nommés par l’Etat selon d’autres critères : compétences professionnelles, engagement politique, etc., soumis à l’autorité de leurs supérieurs hiérarchiques. La naissance, l’héritage et la collaboration ne déterminent plus l’accès à l’exercice de l’autorité administrative depuis la révocation du cantonat. Les chefs de village et de fraction sont réduits au rôle de simples auxiliaires de l’administration dans des activités de collecte d’impôts et à travers les fonctions de représentants du droit coutumier.
16- Le pouvoir s’exerce donc verticalement du sommet à la base de la pyramide et l’uniformisation des pratiques devient la règle générale. En ce sens, la première république est demeurée la digne héritière du système colonial dont le jacobinisme est demeuré la forme privilégiée d’administration, d’où sa qualification par un ancien ministre du Développement Rural de la troisième république de « structure tunnel 3 » dont la disparition est une des conditions essentielles à la réussite de la décentralisation, dont la restructuration du développement rural préfigure l’avènement.
17- Le régime militaire issu du coup d’Etat de novembre 68, a dissout les conseils municipaux existants auxquels il a substitué des délégations spéciales nommées par décret. Il procéda néanmoins à un nouveau redécoupage administratif, suivant l’ordonnance 77 44/CMLN du 12 juillet 1977 du Comité militaire de libération nationale (CMLN). La ville de Bamako fut érigée en district subdivisé en six communes ayant à l’instar de celles existantes, le statut de collectivités décentralisées. Cependant, le district demeure une circonscription administrative assimilée à une région et dirigé par un gouverneur nommé par les pouvoirs publics. La même ordonnance laisse la possibilité à l’arrondissement de s’ériger en commune, bien que cela soit devenu un vœu pieux par la force des choses : le pouvoir militaire étant dictatorial dans son essence. Sous la Constitution du 2 juin 1974, en plus de la création du district et de ses six quartiers érigés en commune on a enregistré sur l’ensemble du territoire, la création de la seule commune de Bougouni.
18- On assiste cependant à la mise en place d’un vaste programme de développement participatif dit « à la base » visant à associer les cadres techniques et administratifs ainsi que les populations locales à la conception et à la réalisation des programmes de développement à travers des organes que sont les conseils et comités de développement. Un fonds de développement régional et local (FDRL), issu de la perception de taxes et impôts divers sert à financer les programmes régionaux et locaux de développement. Cependant, face à l’élite politique locale, l’administration est demeurée maîtresse du jeu en contrôlant et en canalisant l’utilisation de ce fonds vers des actions qu’elle jugeait prioritaires 4.
19- En fait, la réforme de 1977 a abouti à une déconcentration très poussée de l’administration d’Etat assimilable à une planification du développement, en direction des circonscriptions (région, cercle, arrondissement), sans pour autant réaliser la décentralisation qui avait été préconisée comme l’objectif ultime. Le milieu rural a complètement échappé à la décentralisation.
20- Après mars 91, la « transition » a créé 5 nouvelles communes qui sont : Banamba, Dioïla, Bandiangara, Niono et Djenné. Avant l’avènement de la décentralisation au Mali, préconisé par la Constitution issue de la Conférence nationale, qui stipule en son titre XI que « les Collectivités Territoriales sont créées et administrées dans les conditions définies par la loi et qu’elles s’administrent librement par des Conseils élus », le Mali ne comptait que 19 communes urbaines. Ce qui a fait dire à un ancien ministre de la transition chargé des réformes institutionnelles, que c’était « le nombre le plus bas du monde pour des bâtisseurs d’empires » (Fofana 1993).